L’AFEST : un réel intérêt, pas qu’un effet de mode ! A condition que…

Yvan Boby
Mis à jour le 19 février 2020

AFEST : Action de Formation en Situation de Travail

La réforme de la formation professionnelle continue, pour « la liberté de choisir son avenir professionnel », redéfinit sensiblement le paysage de la formation en France. A cette vieille rupture tenace entre « travail » et « formation », la réforme rebat les cartes en instaurant la possibilité de se former en situation de travail. Cette nouvelle modalité de formation est issue d’une expérimentation menée entre 2015 et 2018 dans une cinquantaine d’entreprises. La démarche expérimentale a fait émerger les principaux contours de l’AFEST, à savoir :

  • Une mise en situation de travail préparée, organisée et aménagée à des fins didactiques,
  • Une séquence réflexive (en dehors de la situation de travail) animée par un « tiers ».

Les auteurs du rapport de l’expérimentation mentionne que « les personnes apprennent par et dans le travail mais aussi à distance du travail » (en référence avec les travaux de la didactique professionnelle). Ainsi, dans le cadre d’une AFEST, « l’apprenant fait l’expérience du travail et transforme cette expérience en compétences ».

Un Décret précise les caractéristiques de l’AFEST :

La mise en œuvre d’une action de formation en situation de travail comprend :

  1. L’analyse de l’activité de travail pour, le cas échéant, l’adapter à des fins pédagogiques
  2. La désignation préalable d’un formateur pouvant exercer une fonction tutorale
  3. La mise en place de phases réflexives, distinctes des mises en situation de travail (…)
  4. Des évaluations spécifiques des acquis de la formation qui jalonnent ou concluent l’action

Une opportunité pour dépoussiérer la formation… Vraiment ?

On peut en effet légitimement se poser la question du caractère réellement innovant de l’AFEST. Cette modalité n’est-elle qu’une manière un peu revisitée de faire du compagnonnage ? Une nouvelle façon de parler de tutorat ? Tout ça dans un cadre officiel, donc finançable ! Pire, comme le dit un représentant syndical, n’y a-t-il pas un risque en rendant la frontière floue entre travail et formation ? Un risque qui permettrait à des entreprises peu scrupuleuses de s’engouffrer dans des pseudo-formations, permettant à la fois de satisfaire à l’obligation de formation (sans réellement y mettre les moyens) tout en poursuivant une activité purement productive ?

Sans aller plus loin dans ce type de déviance, purement hypothétique, il y a une certitude c’est qu’il régne une incertitude immense dans les modalités de mise en place d’une AFEST. Car, le texte ci-dessus (le Décret) ne dit rien de plus.
Il nous faut donc revenir au rapport de l’expérimentation. Ce dernier précise le schéma type de mise en œuvre d’une AFEST :

Ce schéma donne un éclairage sur le processus dans sa globalité. Ainsi, la littérature déjà florissante sur le sujet AFEST déborde d’idées et de conseils pour l’ingénierie de ce type de formations. Des méthodologies types sont proposées incluant des phases préparatoires et d’évaluation… L’AFEST n’a pas pour vocation de remplacer les modalités de formation existantes, mais peut se combiner à celles-ci. Du coup, l’approche multimodale de la formation est d’autant plus soutenue, combinant des temps en présentiel, des temps à distance et des temps en situation de travail !

Nous ne pouvons que souscrire à la nécessité d’une réflexion en amont, une ingénierie préalable qui prendrait en considération au moins :

  • L’analyse des enjeux (une AFEST pour répondre à quoi ?)
  • L’analyse des conditions de mise en place : engagement de la Direction, information de tout « l’écosystème », choix de la période (plutôt « creuse »), droit à l’essai / erreur…
  • La construction d’un scénario pédagogique
  • La planification
  • La définition des acquis / compétences à atteindre
  • La désignation d’un formateur AFEST interne
  • La détermination des situations de travail « apprenantes », aménagées…

Les experts de la formation fourmillent d’idées et de savoir-faire dans la structuration d’une action de formation. Les méthodologies et autres schémas de mise en œuvre fleurissent dans la littérature actuelle, les wébinaires et autres conférences sur le sujet. En revanche, qu’en est-il du cœur de l’AFEST ? L’analyse de l’activité de travail, de quoi s’agit-il ? Qu’est-ce qu’une séquence réflexive ? Comment cela se mène ?

De manière plus large, en quoi une AFEST est-ce si différent, au-delà de la multimodalité, de ce que je fais déjà dans l’entreprise ?

Et si l’ergonomie pouvait contribuer à développer les AFEST ?

Pour mieux comprendre, revenons aux sources par l’intermédiaire du rapport sur les expérimentations AFEST. Les auteurs mentionnent que « L’expérimentation AFEST se propose de constituer l’activité́ de travail en matériau de la formation formelle ». Et, le rapport précise que les séquences réflexives ont pour but de « rendre l’activité observable, de pouvoir la décrire, en référence à « ce qui est à faire » ». Les séquences réflexives ont pour objet de renforcer les apprentissages, le travail n’étant pas « formateur en lui-même, sans recul et sans horizon sur ce qui se fait ».
Dont acte ! mais qu’en est-il réellement ?
Force est de constater que, dans les conférences et webinaires, les explications, les définitions et les connaissances à mettre en œuvre sont beaucoup plus faiblement abordées sur ces 2 axes que sont l’analyse de l’activité de travail et l’animation de séquences réflexives.

Concernant l’analyse de l’activité de travail

Il est surprenant de constater qu’il n’y a aucune définition de la notion « d’activité de travail », qui est pourtant centrale, dans le rapport des expérimentations AFEST. L’obligation de passer par l’analyse de l’activité de travail constitue pourtant le premier alinéa du Décret.
Ne serait-ce qu’une évidence ?
Nous pensons que non. En ergonomie, l’activité est un concept défini comme suit : « Le concept d’activité naît de la différence qui existe toujours entre : le travail prescrit par le concepteur ; et ce que fait réellement l’opérateur. L’intérêt du concept d’activité n’est pas seulement de nommer une différence ; mais de donner sens à l’écart qu’elle construit. » (Noulin, 1995)
Et pour aller plus loin, F. Daniellou définit l’analyse de l’activité comme : « l’analyse des comportements ou des conduites, des processus cognitifs et interactions mis en oeuvre par un opérateur ou une opératrice ».

Il nous semble alors que pour que le travail devienne un matériau efficace pour la formation, pour le développement des compétences, il convient de prendre en compte simultanément les modalités réelles de réalisation (ce qui est réellement fait) en lien avec les tâches et les objectifs (ce qui est à faire). Rendre une situation de travail « apprenante » (compatible à l’apprentissage), ce n’est pas réduire le travail à quelques éléments de prescription. C’est à la fois caractériser les situations de travail (buts, critères de performance, invariants de l’action) et identifier des modes opératoires, stratégies et règles d’action, c’est-à-dire comprendre les intentions et les manières de faire associées.
A ce titre les compétences de l’ergonome peuvent s’avérer fort pertinentes.

Concernant les séquences réflexives

Combien de fois avons-nous rencontré des acteurs AFEST en grande difficulté sur cette question… !? Il y a confusion entre évaluation et réflexivité. En effet, comment passer d’une posture d’évaluateur, de manager… à une posture de facilitateur permettant à l’apprenant de comprendre, de consolider et d’ancrer les apprentissages ?
La séquence réflexive n’est pas un simple entretien en référence à la mise en situation de travail préalable. Ce n’est pas qu’un débriefing rapide !
Mettre en discussion le travail est un processus qui ne va pas de soi. Il est affaire de posture et de compétences d’animation de ces temps d’échanges, basés sur la verbalisation autour du travail réel. Les séquences réflexives permettent de comprendre les raisonnements, les arbitrages qui sous-tendent l’action que l’on a faite. C’est une prise de conscience de ce que l’on a réalisé. C’est donc amener l’apprenant à apprendre de sa propre pratique !
Pour cela, lors des entretiens consécutifs aux séquences en situation, l’ergonome mobilise différentes techniques d’explicitation qui ne s’improvisent pas. Plus qu’évaluer, débriefer ou simplement décrire, la réflexivité amène l’apprenant à s’exprimer sur ses choix et à développer un point de vue sur son propre travail, pour une première étape à la maîtrise des compétences.

En conclusion, les AFEST constitueront une vraie avancée dans le domaine de la formation, si et seulement si, elles contribuent à mettre au cœur de l’espace formatif la question du travail réel. Et au-delà, cette modalité originale et pertinente d’intégrer, de former des collaborateurs devrait contribuer à la réussite des projets d’entreprise : de réorganisation, de développement, de démarche QVT, etc. C’est dans ce cadre que nous inscrivons notre action.

Ergonova peut vous accompagner dans vos projets de transformation. La mise en place d’une AFEST pouvant constituer un axe d’intervention, un moyen, un levier pour atteindre vos objectifs.

Yvan BOBY
Ergonome européen®
Responsable développement formation.

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